
Les enfants de La Creuse
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Imaginez vous avoir 7 ou 8 ans, voir moins. Maintenant essayer de voir une voiture, une deux chevaux camionnette grise arrivée. Vous montez dans celle-ci et vous vous voyez partir en laissant tout derrière vous. C’est difficile ? Pourtant, c’est ce qui est arrivé à des milliers d’enfants réunionnais pour aller en France. Plus précisément dans les départements de La Creuse, du Tarn, du Gers, de la Lozère ou encore dans les Pyrénées-Orientales.
La situation de la Réunion
Avant de débuter le sujet, je vous propose de faire un point sur la situation de la Réunion dans le début des années 60. C’est une île pauvre dont l’économie est fondée sur la culture de la canne à sucre. Elle faisait partie des archipels du Tiers-monde. Il y avait donc peu de ressources, peu d’équipements, beaucoup de chômage ainsi que des problèmes sociaux importants.
Les familles étaient nombreuses, il pouvait y avoir jusqu’à dix à douze enfants. Si l’on ajoute à cela que les parents n’ont pas de travail et que certains ont des problèmes d’alcoolisme, il se crée alors une situation très douloureuse. De plus, l’on peut entendre au micro une incitation à faire des enfants afin de toucher les allocations familiales. Peut-être auraient ils dû se cantonner à un ou deux par famille. C’est dans ce climat de peur, d’appréhension et de désespoir qu’arrive un homme. Michel Debré.

L’élection du député
En 1963, Michel Debré, haut fonctionnaire, résistant et homme d’état français devient le député de la Réunion. Considéré comme l’un des barons du gaullisme, il sera élu jusqu’en 1988. Sur cette île, il peut mener son combat. Progrès social, modernisation économique et grandeur de la France. En bref, il se positionne comme le sauveur de cette archipel.
L’homme crée donc le BUMIDOM, bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer. Cet établissement encourage les travailleurs d’outre-mer à aller exercer en métropole, cependant, il prend très vite les enfants pour cible. Via des mensonges, il arrive, lui, l’administration réunionnaise et celle de Paris à convaincre les parents de laisser leurs enfants partir en France. Là-bas, ils pourront faire des études et avoir une situation. Bien sûr, avant de faire cette proposition, ce sont les orphelins qui ont été enlevés par la DDASS. Puis des enfants dit « abandonnés » mais qui ne l’était pas et enfin cette fameuse proposition.
Les parents qui ont signé sans même avoir eu le temps de lire les documents (ils leur étaient arrachés juste après la signature ou alors ceux-ci ne savaient pas lire.) pensaient bien faire, mais ce n’était pas le cas. En effet, alors que l’on promettait de bonnes choses en France, la réalité était loin de ça. Les 2150 enfants prenaient l’avion sans se douter qu’ils ne reverront jamais leur terre natale.

Le début des enfants de le Creuse
En France, c’est le début des trente glorieuses de l’essor de la croissance ainsi que l’exode rural. Les campagnes se dépeuplent alors que la population de la Réunion augmente. Ce « surplus », comme sont appelés les enfants, est retiré afin de repeupler les campagnes françaises. Ces petits réunionnais sont donc envoyés dans divers départements de France.
Arrivés à Guéret, les enfants qui sont maintenant des pupilles de l’État sont accueillis dans un foyer. Là, à même le sol, se trouve des centaines de matelas où ils dormiront. Certes, ils seront logés, nourrit, etc. Mais ce ne sera que de courte durée. Tous ces êtres humains seront placés dans des groupes distinct en fonction de leur carrure, leur santé, et d’autres points. De par ces caractéristiques, un métier leur sera donné. Certains seront adoptés, d’autres resterons aux foyers ou encore serviront comme main d’œuvre dans les fermes. Des travailleurs sans salaires. Les filles quant à elles, seront placée soit dans des foyers soit chez les religieuses. Pour la plupart des pupilles, leur vie sera terrible. Les jeunes seront frappés, exploités, et même violés. Une vaste tromperie qui durera 20 ans, mais qui marquera les victimes à vie.

La fin du calvaire
C’est en 1982 que François Mitterrand met fin au programme. Par contre, il faudra attendre le 18 février 2014 pour que la France assume la responsabilité morale de cette affaire. Par la suite sera crée par George Pau-Langevin, avocate, responsable associative et femme politique française une commission nationale historique des Enfants de la Creuse. Celle-ci est présidée par Philippe Vitale.
Plusieurs associations comme la Commission pour les enfants volés d’outre-mer et le conseil représentatif du conseil noir (CRAN) demande une réparation autre que purement mémorielle et symbolique. Ils n’y auront droit que quelques années plus tard. En effet, en février 2017, Ericka Bareigts, une femme politique française membre du Parti Socialiste, annoncera un début d’indemnisations. Une assistance psychologique sera aussi mise en place ainsi qu’une assistance administrative pour que les déplacés puissent faire valoir leurs droits. Une bourse à la mobilité est ensuite créée afin de financer les billets d’avion pour ceux qui ne sont encore pas retournés sur l’île. Un ancien enfant, Jean-Jacques Martial auteur du livre une enfance volée portera plainte contre l’État en 2002. Cependant, les faits sont trop anciens, il y a donc prescription, cela ne donnera rien. Le CRAN envisagera aussi de porter plainte pour crime contre l’humanité, or, c’est un crime imprescriptible.
Dans la commission mise en place par le ministère de l’Outre-mer, historiens, sociologue et haut fonctionnaire ont pour mission de faire la lumière sur cet exil forcé des enfants réunionnais. Régulièrement, ils se regroupent pour mettre en place différentes actions afin de les aider. C’est un travail de longue haleine qui va durer encore plusieurs années.
Pas tous méchants
L’on a parlé plus haut que les enfants étaient exploités et subissaient des choses horribles. Il y avait cependant parmi tous ces foyers et toutes ces personnes, des gens qui étaient indignés par cette situation. Certaines familles adoptives considéraient ces enfants non pas comme de la main d’œuvre, mais comme un membre à part entière de leur famille.
Alix Auer, ancien directeur d’un foyer à écrit une lettre qu’il a envoyée à l’État. Il voulait faire changer cette situation, mais il n’a eu que des réponses évasives ou négatives. Il sera d’ailleurs mis sur la touche comme beaucoup d’autres personnes qui osaient se rebeller contre ce système. L’on sait que Michel Debré, pendant plusieurs mois, eu différentes lettres de ce type déposées sur son bureau, mais il n’y a pas ou peu répondu. Il croyait vraiment, il semblerait, en sa création.
Une maîtresse dit aussi regretté, avoir participé à ce genre de choses. Elle ajoute que même à 7 ans, des enfants faisaient encore au lit. Ils étaient psychologiquement choqués et c’était plus du gardiennage que de l’école avoua t’elle.
Philippe Vitale, président de la commission, a déclaré qu’il n’y avait non pas une seule, mais trois victimes dans cette affaire. Les enfants réunionnais traités comme du bétail. Les familles réunionnaises, mais aussi les familles d’accueil. Celles qui n’ont rien fait de mal. Elles ne comprennent pas ce procès qui leur a été fait. Traiter les Creusois en négriers, c’est faire à beaucoup d’entre eux un faux procès même si, en effet, des atrocités ont été commises.


Que sont ils devenus ?
Les enfants de La Creuse ainsi que les autres qui ont été déportés dans plusieurs départements atteignent maintenant non loin de la soixantaine. Sur ces 2150 petits réunionnais à qui l’on a promis monts et merveilles, certains sont décédés soit de mort naturelle ou par le suicide. En effet, plusieurs d’entre eux ne supportait plus de vivre avec cette marque. Ils ont donc décidé de mettre fin à leurs jours. D’autres, par contre, même s’ils ont dû aller en hôpital psychiatrique, on réussit à se relever, bien que certains soient restés dans ces instituts. Plusieurs sont devenus ouvriers, mais les derniers perçoivent aujourd’hui le RMI ou le RSA.
Nous sommes donc loin de toutes les promesses faites à leurs familles, familles que certains ne reverront jamais. Cependant, des hommes et des femmes ont décidé de se battre pour faire connaître à la France ainsi qu’aux autres pays francophones, les cruautés dont ils ont été victimes.
Parmi tous ceux-ci, certains ont fait des démarches pour avoir accès à leur dossier, mais elles sont très longues. Si l’on ajoute à cela que seule la personne concernée peut faire la demande pour avoir accès à son dossier et non pas la famille, ce sont là, encore plus de difficultés qui parfois si ce n’est souvent ne mènent à rien. En effet, les faits datant, les dossiers ont pu être perdus ou non remplis ce qui donne encore moins de réponses pour ces enfants déportés.

Conclusion
Ces choses dont l’on entends assez peu parler on fait beaucoup de victimes. Certaines sont encore vivantes d’autres n’ont pas eu la force de continuer de vivre, ce qui est compréhensible au vu de ce qu’ils ont vécus. L’on a pu voir que même dans un pays civilisé comme la France, des actions impardonnables ont été faites et peut-être qu’aujourd’hui, il y a prescription pour beaucoup de Français. Or, n’oublions pas que ces enfants qui sont de nos jours adultes ont été blessés physiquement et psychologiquement. Ils ne se remettront jamais totalement de ces actes qui seront gravés à jamais dans leur mémoire. Il restera toujours une marque au fer rouge invisible qui a fait d’eux des esclaves modernes.